Skip to contentSkip to navigation
№ 8, Charles R. Bowers
juillet 1980

La révélation publique de Charley Bowers a eu lieu aux Rencontres internationales du cinéma d'animation à Annecy en 1976. Cette année-là, dans la section rétrospective, la Cinémathèque de Toulouse avait apporté trois courts métrages d’un comique inconnu de la fin du muet, surnommé en France Bricolo. Les films s’appelaient POUR ÉPATER LES POULES, UN ORIGINAL LOCATAIRE et NON, TU EXAGÈRES et s’ils étaient proposés dans une rencontre du cinéma d’animation, c’est que certaines séquences avaient été faites image par image.

Ce fut une surprise. Effectivement, les spécialistes découvrirent une technique très élaborée de l’animation des objets, où les trucages avaient atteint une perfection artisanale assez inattendue. Mais il y eut autre chose : la révélation d’un surréalisme inconscient, involontaire, qui dépassait ce que le cinéma comique américain, pourtant si riche d’inventions, avait l’habitude de fournir. On se trouvait dans un autre monde, dominé par la naïveté, et d'autant plus ouvert à des dérives poétiques qu’il était moins prémédité.

Il fallait donc en savoir davantage, et les informations de la Cinémathèque de Toulouse restaient rudimentaires. Elle avait découvert chez de vieux exploitants forains — généralement des gitans — des boîtes de films marquées “Bricolo”. Visiblement, Bricolo était un surnom donné par les distributeurs français de l'époque comme “Beaucitron” pour Snub Pollard ou “Malec” pour Keaton. Pourtant un hasard heureux avait permis d’identifier ce personnage énigmatique : il s’appelait Charley Bowers, il avait dessiné des cartoons et il était, avant même de tourner des films de fiction, un spécialiste de la prise de vue image par image.

Dans un premier temps, on fit donc une comparaison des copies d’époque, afin de reconstituer pour chacun de ces trois films une continuité aussi complète que possible. On confia cette matrice à la Cinémathèque royale de Belgique qui établit des négatifs. Bowers était sauvé.

Mais l’Europe avait livré tout ce qu’elle avait pu. La parole était désormais, au Nouveau Monde. La Cinémathèque québécoise entreprit une recherche sur Bowers, son passé de pionnier du dessin animé, ses travaux parfois tumultueux dans la série des Mutt and Jeff, son association avec le mystérieux H.L. Muller (un prête-nom fiscal?) et ses créations beaucoup plus fragmentaires, au début du parlant.

Elle retrouva trois films, IT’S A BIRD, A.W.O.L., WILD OYSTERS. Ils étaient moins satisfaisants que ceux de l’époque muette, mais ils attestaient la permanence d’une imagination. Bowers, si contesté par ses propres amis, si vulnérable à l’arrivée du cinéma sonore, avait néanmoins poursuivi une démarche d’artisan têtu et de poète naïf qui était tout à son honneur.

* * *

Bowers, qui est-ce? D’abord un inventeur. Bricolo, le bricoleur impénitent, c’est le portrait de Bowers lui-même travaillant à ses Bricolos. Il intervient à une époque où la machine fascine l’humanité. Dans l’inconscient collectif, les pistons, les leviers, l’acier qui coule des hauts fourneaux et les postes à galène dessinent la même image d’un avenir radieux. De toutes parts, de la LIGNE GÉNÉRALE à L’ÂGE DES MACHINES et de la subversion Dada au lyrisme de Walter Ruttman, une utopie joue à plein. Communiste ou capitaliste, russe ou américaine, la technique est mobilisante et dynamisante. Nous sommes à ce carrefour des années 20 et 30 où la mécanique était devenue un immense alibi.

Or Charley Bowers invente. Il est à la fois le bouffon dérisoire et le chantre modeste de cette épopée. Il participe et il rigole. Une des énigmes est donc de savoir ce qu’il pensait réellement de l’assemblage des boulons, des rivets, du métal. Y croyait-il?

WILD OYSTERS WILD OYSTERS

A WILD ROOMER A WILD ROOMER

André Martin conclut, avec la prudence de l’historien :

“Bricolo nous ramène à l’enthousiasme de la mécanique qui s’est emparé de l’Amérique, avec l’entrée en force des machines destinées au grand public, que ce soit l’automobile en 1922 ou le grille-pain électrique en 1926. Le clavecin nerveux du “slapstick” nous a proposé à ce moment une superbe parodie de cette nouvelle révolution industrielle et de ses arts ménagers, que ce soit avec les remises en question des grands systèmes ferroviaires ou météorologiques de Buster Keaton, les plus modestes installations domestiques de Snub Pollard ou les chantiers ingénieux des jeunes héros de la série Our gang”. (BANC-TITRE n° 1/2, 1978)

* * *

Enfin le surréalisme. Nous avons présenté ces trois Bricolos à Confrontation XV, le festival de Perpignan qui était consacré au “Cinéma des surréalistes” (avril 1979). Assez indifférents à l’image par image, en tant que procédé de création artistique, c’est-à-dire narrative, les participants découvrirent autre chose : la plante à chats, la voiture engendrant de petites voitures et devenant mère poule, le végétal poussant dans les vêtements d’un péquenot, l’arbre de Noël surgi d’une charrue...

Apparemment, Bowers avait réalisé cette identification des choses qui sont dans les choses et ce transfert d’identité qui ouvre, dans le champ de l’irrationnel, le sillon d’une autre logique.

On aimerait en savoir davantage. Quinze films, répertoriés dans le Copyright pour la période 26-28, au titre de R.C. Pictures Corporation ou de Bowers Comedy Corporation, semblent aujourd’hui perdus. Allaient-ils dans le même sens? Trois films sur 18 nous donnent-ils le droit de conclure? Évidemment non. Mais tout de même...

WILD OYSTERS WILD OYSTERS

EGGED ON EGGED ON