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Ce glissement progressif vers la vidéo
octobre 1985

Le syndrome de la vidéo : une association de plusieurs signes (économiques, technologiques, esthétiques) constituant une mentalité (un engouement) reconnaissable par le fait qu’elle traduit l’atteinte dont est victime le cinéma.

Parce que la diffusion du cinéma est restreinte peu à peu au seul secteur de la télédiffusion et de la vidéocassette, c’est maintenant devenu un luxe de voir un film en salle. De produit de qualité qu’il était, accessible aux masses, le cinéma est passé par une réduction, un moins de l’image et du son, qui neutralise ses propriétés. Toujours fort populaire, il n’en a pas moins perdu des attributs intrinsèques; il a pris une allure de fast-food, son attrait et son goût en sont amoindris.

Fort heureusement ce glissement progressif du plaisir n’a pas encore perturbé complètement le secteur de la production. Les images tournées en 16 ou 35 mm restent toujours supérieures à celles obtenues par la technologie vidéo, et la plupart des réalisateurs, producteurs et techniciens en sont conscients; ils demeurent de fidèles défenseurs de la pellicule, bien qu’il soit devenu une mode, une nécessité, de tenter la vidéo, qu’il soit avantageux de croire en l’avenir de ce médium et qu’il ne faille surtout pas, au dire de certains, rater le train.

On a souvent peine à comprendre certains emballements. Nous vivons un état de passage qui, manifestement, en est un de tâtonnement donc de malaise et d’affaiblissement. La technologie vidéo, malgré des développements extrêmement rapides, qui ne sont souvent, hélas, qu’une surenchère de gadgets, cherche sa voie et ne fait que commencer à naître réellement. La télévision a excellé dans la transmission en direct: l’indigence du signal visuel était oubliée au profit de l’émission sur le vif, du risque et du trac qui la soutenaient, la différenciaient. Maintenant que cette singularité disparaît peu à peu depuis l’invention du magnétoscope, vivement que la Haute Définition survienne, nous surprenne et nous débarrasse de cette succession de points épars et flous que nous offrent actuellement les petits et surtout les grands écrans vidéos.

Certes, demain l’image sera magnétique; après-demain elle deviendra numérique, et ainsi de suite. L’industrialisation de l’audiovisuel aura tôt fait de reléguer aux cinémathèques les nostalgiques de la pellicule. Cependant rappelons-nous qu’à une certaine époque, il existait une pellicule sur support nitrate permettant des noirs et blancs uniques, si profonds et tellement doux en même temps, qu’ils demeurent inoubliables et toujours inégalés. Aucune invention technique n’a réussi à les reproduire depuis cette disparition. C’est une perte indéniable.

Sans vouloir évaluer les qualités formelles ou de contenu spécifique à chacun des supports et à leurs utilisations, permettons-nous de souhaiter et de réclamer de ces nouveaux procédés d’enregistrement, de conservation et de restitution de l’image animée, qu’ils parviennent rapidement à un degré d’excellence incontestable; qu’ils dépassent et nous fassent oublier cet antique support que l’on appelait jadis la pellicule acétate 16 et 35 mm. Sinon, ce n’est pas la peine...!

Pierre Jutras