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ONF
juillet 1984

Il y a 25 ans, dans cet Office national du film, fondé 20 ans plus tôt par un Écossais idéaliste et perdu dans la cordillère internationale du cinéma-spectacle, de jeunes cinéastes canadiens-français, qui se diront bientôt québécois, sont assis à table. Ils se concertent. Ils travaillent. Ils font des films. Ils ne sont pas encore très nombreux, mais ils ont déjà entrepris, au moment où s’amorce ce formidable bouillonnement culturel qu’on appellera la “Révolution tranquille”, de faire, avec le cinéma, l’inventaire de ce qu’ils sont.

Ils vont relever deux défis : celui de se faire reconnaître comme groupe distinct et autonome de production dans une institution de tradition toute britannique qui ne cède pas facilement à la culture canadienne-française ou au fait francophone — ce qu’ils obtiendront en 1964 par la création de la Production française —; celui aussi de s’inscrire, en tant que cinéastes, dans la dynamique d’une société en profonde transformation partie à la recherche d’elle-même : ils en seront non seulement les témoins, mais aussi et plus souvent qu’autrement, un catalyseur de conscience dans l’engrenage de cette “révolution” et même un instrument de changement.

Au cours des vingt-cinq dernières années, les films de la production française auront eu une importance de premier plan comme témoignage et affirmation de cette société québécoise en évolution. Ces films auront aussi été capitaux pour le jeune cinéma québécois qui vient prendre sa place parmi les jeunes cinématographies nationales qui, comme lui, tentent de s’affranchir des métropoles cinématographiques.

À une époque, le cinéma québécois, c’était celui de la Production française de l'ONF; ou à peu près. Trop près des États-Unis dont ils subissaient l’envahissante présence à tous les niveaux de leur vie pour ne pas vouloir s’en démarquer, trop loin de l’Europe (et de la France), dans l’espace et la tradition, pour s’en rattacher, les cinéastes québécois durent inventer leurs propres modèles de cinéma. L'ONF était dans ce sens un endroit privilégié : l’État pourvoyait, en attendant la rentabilité ou le profit social et culturel de “ses” films.

Cela ne se fit pas sans heurts. Entre le tout à l’aise et le trop à l’aise des uns, il y eut le mal à l’aise des autres. La Production française connut ses crises économiques, politiques, idéologiques et artistiques. Des cinéastes y ont fait tous leurs films. Certains avec la patience et l’acharnement de galériens; d’autres, comme des gladiateurs, se sont comportés en professionnels se contentant de surveiller le pouce de l’empereur. Plusieurs se sont affranchis et sont partis, mais sont plus tard revenus pour y faire des films qu’ils pouvaient difficilement réaliser ailleurs ou autrement.

La diversité des films documentaires, de fiction ou d’animation est considérable, et dans l’ensemble on y trouve un substrat fondamentalement culturel et social qui constitue un sédiment important pour notre cinéma et des pièces essentielles au miroir de ce que nous sommes.

Cette publication, qui paraît au moment où la Production française souligne 25 ans de ses réalisations, ne veut pas “faire le point” sur la Production française ni en raconter l’histoire. On peut, certes, difficilement ignorer l’histoire lorsqu’on met vingt-cinq années en perspectives, mais il nous a semblé beaucoup plus opportun de demander à nos collaborateurs de revoir ces vingt-cinq années avec les yeux d’aujourd’hui, en posant des questions, en émettant des hypothèses et des points de vue sur l’avenir.

L’émergence de l’Équipe et de la Production françaises, les incidences du travail d’équipe sur le cinéma qu’on y pratique, les rapports films/société, la permanence et la continuité, le rayonnement, l’animation, la fiction, le documentaire constituent les principaux axes de cette mise en perspectives. À vingt-cinq ans, on peut supposer qu’on a terminé ses classes. On s’imagine qu’on peut commencer à répondre à certaines questions. Et qu’on peut envisager la vingt-sixième année avec réalisme.

La géographie du cinéma québécois et canadien s’est considérablement modifiée au cours des dernières années. L’industrie du cinéma est un fait. L’ONF n’a plus le monopole des images cinématographiques qu’il a détenu un certain temps. Dans le secteur privé, des cinéastes sont amenés aussi à faire des compromis, qui ne sont pas toujours faciles à faire, entre l’industrie et le cinéma.

On voudrait aujourd’hui que le débat se fasse entre l’économie et la culture. On voudrait mettre l’industrie d’un côté et la culture de l’autre. Tout cela est très certainement un faux débat dans un pays comme le nôtre où à peu près tout ce qui se fait de cinéma est subventionné d’une manière directe ou indirecte par l’État. Économiquement, nous avons très peu de raisons de faire des films. On peut donc supposer que c’est pour des raisons culturelles que les gouvernements ont décidé d’intervenir dans le cinéma.

Pourquoi faudrait-il faire du cinéma un monstre à deux têtes? Pourquoi l'ONF et la Production française seraient-ils uniquement des chiens de garde de la culture? Pourquoi l’Office serait-il obligé, a priori, de faire de l’excellence? Comme si l’excellence existait en soi. Est-ce qu’un poète fait a priori de la poésie?

Les enjeux sont énormes aujourd’hui. Les intervenants se multiplient et créent de nouvelles métropoles quand ils ne retournent pas carrément aux anciennes.

Au Québec, comme nous ne sommes la métropole de personne, comme nous sommes excessivement perméables aux modes et aux idées qui nous viennent de l’extérieur, comme le cinéma est de plus en plus une affaire d’industrie qu’une affaire de culture, la continuité dans le cinéma est une des choses les plus difficiles à pratiquer.

L'ONF et la Production française ne seraient-ils qu’une utopie dans un pays considéré comme une extension du marché américain pour un peuple qui ne pourrait se nourrir qu’aux mythes de l’Olympe hollywoodien?

C’est cette réflexion que voudrait alimenter cette publication sur vingt-cinq années de production de cinéma en français à l'Office national du film.


Cet article a été écrit par Carol Faucher. Critique de cinéma, pigiste et recherchiste (Radio-Québec, gouvernement du Québec, etc.) elle travaille à la production française de l'ONF.